2.2.2.2-4.2.3.1-timp.perc-harp-strings
Abbreviations (PDF)
Anton J. Benjamin / Simrock
C’est probablement au début de l’année 1909 que Jaques-Dalcroze commence sa seconde œuvre d’envergure pour violon et orchestre, le Poème, improprement sous-titré «2ème Concerto», probablement à la demande de l’éditeur. Ce deuxième titre, en effet, n’apparaît pas sur le manuscrit de la réduction pour violon et piano, le seul conservé; il ne figure pas non plus sur la partition et le matériel rédigés par un copiste et utilisés avant que l’œuvre ne soit publiée en 1911 par la maison Simrock, le célèbre éditeur des œuvres de Brahms et de Dvorák. L’ouvrage se présente comme un vaste poème symphonique avec violon solo, composé de deux mouvements de forme très libre mais présentant néanmoins plusieurs éléments cycliques. Le premier morceau, Dal Largo doloroso al doloroso appassionato débute, en ut mineur, par une sombre introduction orchestrale suivie d’un récitatif du violon solo. Divers motifs apparaissent, enchaînant les modulations. Le climat se tend de plus en plus jusqu’à un dramatique « piu appassionato », qui va brutalement s’interrompre pour laisser la place à un épisode « con dolore » au thème d’une tristesse désolée, et devenir le motif principal du morceau. Celui-ci est développé dans un sombre épisode modulant, qui débouche sur un nouvel élément thématique « tranquillo », en sol mineur issu des accords de l’introduction. Une longue transition, où apparaissent à nouveau des réminiscences de l’introduction, ramène le thème « con dolore ». Une coda, construite à partir du « tranquillo » et de furtifs effluves du thème principal, terminent ce mouvement dans le ton de sol mineur, éclairé in extremis par le glissement vers le majeur.
Le second morceau est intitulé Dal moderato con ritmo ostinato all’allegro con gioja [sic]. Une brève introduction précède le thème initial, en ut mineur, sous la forme d’une marche pesante et inexorable, utilisant la figure rythmique double-croche/croche pointée. Quelques mesures de transition mènent vers un deuxième thème en ré majeur qui apporte un contraste complet par son lyrisme et son caractère paisible. Commence alors une sorte de vaste développement utilisant, en ostinato, la figure rythmique inversée du premier thème (croche pointée/double croche). La tension croissante de cet épisode débouche sur un rappel du motif « con dolore » du premier mouvement. Puis c’est le retour du deuxième thème du présent morceau, qui apparaît selon des schémas rythmiques différents et s’enchaîne avec le retour de la deuxième section du « con dolore », exposé sous sa forme originale et en miroir. Le climat passionné et dramatique qui avait prévalu jusqu’ici s’apaise et un bref conduit, plus calme, amène la conclusion. Le premier motif du développement est exposé en ut majeur puis fait presque l’objet d’un second développement, jusqu’au retour triomphal du deuxième thème en sol majeur, clamé par tout l’orchestre bientôt rejoint par le soliste. Après une dernière et fugitive apparition du thème « con dolore » pris en mouvement contraire, l’ouvrage se termine sur les accords d’ut majeur de tout l’orchestre, ponctués par une vibrante sonnerie de cloches.
Dédié à Eugène Ysaÿe, le Poème ne semble pas avoir été joué par le grand virtuose belge, bien que l’Institut Jaques-Dalcroze conserve, de sa main, une copie de la partie de violon solo portant d’abondantes indications de doigtés et de coups d’archet. Il sera créé à Stuttgart le 25 novembre 1909 par Felix Berber, accompagné par la Hofkappelle Stuttgart sous la direction de Max von Schillings, illustre chef d’orchestre et compositeur d’opéras alors souvent exécutés. L’œuvre frappe par son caractère foisonnant, son hyper expressivité et la générosité de ses développements. Sa forme libre, malgré un travail thématique soigneusement élaboré et le caractère cyclique de nombreux motifs, semble avoir laissé à l’inspiration du compositeur la faculté de s’épanouir librement, contrairement au Concerto dont la construction formelle plus rigoureuse entravait manifestement sa fantaisie naturelle. Les matériels d’orchestre imprimés conservés à l’Institut Jaques-Dalcroze comportent de nombreuses surcharges manuscrites autographes, ainsi que diverses indications de coupures qui s’ajoutent à celles que propose déjà la partition éditée. Par ailleurs, sur une partie de violon solo imprimée, l’on trouve de la main de Jaques-Dalcroze quelques éléments de programme : «1ère partie : doute, défiance, désarroi, angoisse, paresse, lâcheté, désespoir… 2nde partie : reprise de soi-même, effort vers un but, opiniâtreté, joie du travail, confiance, enivrement au succès, élévation et joie de l’être». Notons que l’œuvre figurera au répertoire de Georges Enesco qui la jouera à Genève au concert d’abonnement de l’Orchestre de la Suisse Romande du 19 décembre 1925 , sous la direction d’Ernest Ansermet. Le programme de ce concert contient une notice - probablement due à ce dernier sur les indications du compositeur - qui indique que le Poème obéit à une idée directrice ainsi formulée : « Vivre c’est lutter – Créer c’est vaincre ».
© Jacques Tchamkerten
Rodion Zamuruev / Moscow Symphony Orchestra / Alexander Anissimov
Guild GMCD 7336