Grand concerto pour violoncelle et orchestre ("Concerto militaire") (OEK critical edition)
(1847)2.2.2.2-4.2.3.0-timp.perc(1):SD-strings
Abbreviations (PDF)
Bote & Bock
On oublie souvent qu’avant de devenir le créateur de l’opéra-bouffe français, Offenbach fut un des plus grands violoncellistes de son temps. Doté d’une virtuosité quasi diabolique, on le surnommait « le Liszt du violoncelle ». Il se produisit d’ailleurs avec ce dernier ou encore avec Anton Rubinstein ou Friedrich von Flotow lors de nombreux concerts à Paris ou en Allemagne. C’est lui qui fit connaître en France les sonates pour violoncelles et piano de Beethoven. Mais bien au delà de son plaisir d’interprète, sa véritable passion fut toujours la composition. Aussi produit-il dès son plus jeune âge une imposante littérature pour son instrument de prédilection : beaucoup de petites pièces, mais aussi quelques grandes fresques, dont une Danse Bohémienne, une Grande Scène espagnole, et surtout le grand Concerto pour violoncelle et orchestre (appelé aussi Concerto Militaire). Celui-ci fut créé (peut-être partiellement) lors d’un concert que donna Offenbach à la Salle Moreau-Sainti le 24 avril 1847. Il est probable qu’Offenbach joua dans différentes occasion son concerto, mais une seule reprise est connue de source sûre, à Cologne le 24 octobre 1848. Il fallu ensuite attendre cent ans, pour que Jacques Brindejont-Offenbach, le petit-fils du compositeur confia au violoncelliste Jean-Max Clément les esquisses avec accompagnement de piano, ainsi que le manuscrit orchestral du premier mouvement du concerto. Clément recopia donc le début de l’œuvre, omettant malheureusement certains passages qu’Offenbach avait supprimés lors de ses concerts. Il fit ensuite une tentative de reconstitution et orchestra les deux derniers mouvements. En fait, celui-ci, tout comme Jacques Brindejont Offenbach, ignoraient que reposaient dans les archives familiales les manuscrits de l’andante et du rondo final, entièrement achevés et orchestré par Offenbach - ces document ne portant pas de titre, et le compositeur ayant passablement développé ou modifié les introductions de ces deux mouvements, il était alors difficile de faire le rapprochement entre les différentes pièces du puzzle. La version de Clément étant fort inégale et incomplète, ce concerto ne connut pas un grand succès. Entre temps, le patrimoine offenbachien fut disséminé de par le monde lors de ventes aux enchères. C’est alors en fouillant dans les bibliothèques que nous eûmes la chance de découvrir le manuscrit complet du second mouvement dans les archives de la ville de Cologne, et le rondo final à la Library of Congress de Washington. Bien que ces deux partitions eurent fait l’objet il y a quelques années de travaux éditoriaux, elles ne furent pas exploitées dans leur intégralité, et surtout elles ne furent jamais reconnues comme les pièces manquantes du Concerto militaire. Pourtant la chose semblait évidente, surtout pour l’andante, quasiment identique aux esquisses utilisées par Clément, bien qu’un peu plus dévelloppée. Quant au troisième mouvement, s’il est vrai que certains thèmes différaient totalement des esquisses, d’autres se retrouvaient de façon identiques dans les deux sources. Mais le plus significatif reste l’analogie et la continuité de la couleur orchestrale, des tonalités et surtout de l’ambiance des différentes sections de ce concerto. Ambiance qu’Offenbach qualifie de « militaire ». Et en effet, le troisième mouvement est on ne peut plus militaire, parfois de façon très claironnante et joyeuse, parfois de façon très inquiétante, voire douloureuse, laissant déjà deviner quelques tournures bien mahleriennes…
Le langage musical d’Offenbach est le fruit d’une culture musicale basée sur l’admiration de Mozart, de Schubert et des grands maîtres français du dix-huitième siècle, sur ses racines rhénanes et judaïques, et enfin sur des apports totalement personnels et parfois très modernes. Que d’audace chromatiques dans le fougeux premier mouvement du concerto ! Son orchestration est élaborée tout en finesse, telle une orchestration mozartienne ou rossinienne, ou parfois avec une fougue toute beethovenienne. Sa musique est avant tout basée sur un art des contrastes, alternant entre la mélancolie et la jubilation, passant d’une musique particulièrement romantique à une musique des plus entraînantes. Privilégier une seule de ces deux constantes, c’est méconnaître ce compositeur génial, véritable chef de file de la musique française du dix-neuvième siècle.
© Jean-Christophe Keck
Jérôme Pernoo / Les Musiciens du Louvre / Marc Minkowski
DG CD 477 640-3